Home

Le petit coin de l'obsédé textuel (décomposition d'un poème)

Table des matières

  1. La redondance chez Phane Armé.
  2. Et le vers devint fin..
  3. Début débile ou débit des bulles.
  4. Lire en diagonale.
  5. Poèmes-claques.

La redondance chez Phane Armé.

Dans un beau poème, tout est beau, surtout la rime.
Raymond Queneau, grand amateur de poésie - et poète lui-même, est-il besoin de le rappeler - nous propose l'exercice suivant (je cite):
Si l'on retient les sections rimantes (pas nécessairement réduites à un mot) de certains sonnets de Stéphane Mallarmé, on composera des poèmes haï-kaïsants qui, loin de laisser échapper le sens de l'original, en donneront au contraire,semble-t-il, un lumineux élixir, à tel point qu'on peut se demander si la partie délaissé n'était pas pure redondance.
...Et de proposer à titre d'exemple huit sonnets du poète StéPhane MallArmé. voici l'un deux:

Quand l'ombre menaça de sa fatale loi
Tel vieux Rêve, désir et mal de mes vertèbres
Affligé de périr sous les plafonds funèbres
Il a ployé son aile indubitable en moi.

Luxe, ô salle d'ébène où , pour séduire une roi
Se tordent dans leur mort des guirlandes célèbres
Vous n'êtes qu'un orgueil menti par les ténèbres
Aux yeux du solitaire ébloui de foi

Oui, je sais qu'au lointain de cette nuit, la Terre
Jette d'un grand éclat l'insolite mystère,
Sous les siècles hideux qui l'obscurcissent moins.

L'espace à soi pareil qu'il s'accroisse ou se nie
Roule dans cet ennui des feux vils pour témoins
Que s'est d'un astre en fête allumé le génie.

Ce sonnet devient, après traitement pas Queneau:

Fatale loi
de mes vertèbres:
plafonds funèbres
en moi

Séduire un roi
par les ténèbres
célèbres
de sa foi

La terre
moins
mystère

Le génie
se nie
pour témoins.

Passons sur le fait qu'un haïkaï (mot japonais apparu en 1922 dans la langue française) désigne un poème classique japonais de trois vers dont le premier et le troisième sont heptasyllabiques, le deuxième pentasyllabique.
Par haï haï, Raymond Queneau désigne en fait un poème court à la syntaxe particulière.
On aura remarqué que le manipulateur se permet quelques interversion, qui ne paraissent pas devoir affaiblir la portée de la démonstration, pas plus que la ponctuation ajoutée.

Et le vers devint fin.

Cet exercice peut ce faire en fait avec tout texte poétique, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai:

Mon coeur:
la belle
mortelle
douleur

Honneur
cèle
mon coeur
la belle

Douceur
en elle,
nouvelle.
Le meilleur,
mon coeur..

Charles d'Orléans



La rose
déclose
au soleil
cette vêprée
pourprée,
pareil.

Peu d'espace
la place ?
Choir !
Nature
ne dure
au soir...

Mignonne,
fleuronne
verte nouveauté
jeunesse,
vieillesse..
Beauté !

Pierre de Ronsard



Chanté
Tout l'été:
Dépourvue!

Morceau ?
Vermisseau ?
Famine Venue !

Voisine
prêter
elle
subsister
saison nouvelle ?
Foi d'animal,
intérêt et principal !

Défaut :
pas prêteuse.

- au temps chaud
emprunteuse ?

-... à tout venant,
ne vous déplaise

-Fort aise !
maintenant...

On aura remarqué que pour lors, tout contenu anecdotique a disparu de la fable de la Fontaine, le texte étant réduit, vers la fin, à des phrases chargées de non-dit et de sous-entendus.
On n'est pas très éloigné d'un certain théâtre moderne, Michel Vinaver ou Marguerite Duras, ou d'autres auteurs contemporains sont on se demande parfois si quelques feuillets manuscrit ne se seraient pas égarés lors de l'impression...
Le malheureux dormeur ne résistera par contre pas plus au maltraitement de texte qu'à son manque d'étanchéité: Le fameux poème qui commence par un trou et qui finit par deux donnera:

Une rivière
fière:
des haillons
de rayons.

Tête nue
sous la nue,
le frais cresson bleu
pleut.

Comme
un somme
il a froid.

Sa narine
sa poitrine...
Au côté droit.

Thur Baud

Chez certains, on ne voit même pas la différence entre le texte original et le tronqué:

Je suis
comme ça
Rire
aux éclat !
Aime
moi
même
fois.

Je suis
comme ça

Jacques Prévert.

Début débile ou débit des bulles.

Notons que l'on peut également constituer des poèmes à sections "commençantes".
En général, il ne riment pas, encore que l'on découvre parfois des assonances curieuses:

Demain

Je partirai
J'iriai
Je ne puis demeurer

Je marcherai
Sans rien voir
Seul Triste

Je ne regarderai ni l'or
Ni les voiles
Et quand j'arriverai...

Un bouquet

Toute l'émotion de Vic Hug reste contenue dans cette réduction.
L'apocope, ici, surpasse l'aphérèse.
Je ne sais si l'on peut en dire autant de Art Rhim déjà cité:

C'est
accrochant
d'argent.

Luit
un soldat,
et la nuque
dort,
pâle.

Les pieds
sourirai(en)t:
Nature,
les parfums !

Il dort
tranquille.

Mais le futur trafiquant d'armes unijambiste nous pardonnera certainement, qui ne dédaignait pas d'écrire des sonnets à vers disyllabiques (Jeune Goinfre) voir monosyllabiques (Cocher Ivre), dans un recueil qu'il intitula lui-même Conneries... Sacré Arthure!

Lire en diagonale.

Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?
Après la fin et début, on explorer un texte en diagonale.
Ainsi apparaît parfois un sous-texte qui vient renforcer le thème principal, et/ou révèle une pensée sous-jacente toute différente.
Par exemple:

Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
Et son boeuf lentement dans le brouillard d'automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s'en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d'amour et d'infidélité
Qui parle d'une bague et d'un coeur que l'on brise

Oh! l'automne l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes grises.

Guillaume Apollinaire

donnerait:
Dans le brouillard lentement les hameaux...
Pauvres paysan(s) d'infidélité que l'on brise
L'automne a fait mourir deux silhouettes grises.

Une autre forme de maltraitement de texte consiste à ne conserver que quelques vers, ou même quelques mots d'un poème (ou d'un texte), à seule fin cette fois de détournement de sens.
Il s'agit ici d'un jeu, mais on sait l'utilisation faite de citations extraites de leur contexte, dans les domaines les plus divers, en politique notamment...
Je ne peux résister au distique de Roland Bacri d'après Sulli Prud'homme:

Ce vase où meurt une verveine...
N'y touchez pas, il est brisé!

Ma fause méchanceté envers le malheureux dormeur me fait résumer ainsi le poème d'Arthur Rimbaud:

Un trou,
Deux trous.

(Vous pouvez vérifier, la citation est incomplète mais exacte !)
La fable Les deux pigeons de la Fontaine est souvent réduite à:

Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre,
L'un d'eux s'ennuyant au logis.

Poèmes-claques.

Tout comme les chapeaux-claques que l'on peut replier et qui ne font alors apparaître que le dessus et le fond, on peut chercher à réduire un poème en ne conservant que le premier et le dernier vers.
Le sens en est souvent modifié (mais pas toujours), et donne alors au "poème" ainsi formé une dimension tout-à-fait nouvelle.
Exercice: retrouver les poèmes dont on n'a conservé que le premier et le dernier vers:

Mignonne allons voir si la rose
Fera tenir votre beauté.

Quand au temple nous serons,
Ou plus bas si bon te semble...

Quand vous serez bien vielle au soir à la chandelle
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie

Je n'ai plus que les os, un squelette je semble
Je m'en vais le premier vous préparer la place.

(Ronsard)



Bornons ici cette carrière
Que son époux me causera !

Un mal
Blanc ou noir.

Un jour sur ses longs pieds,
Un limaçon...

(La Fontaine)



Vous aviez mon coeur,
Mais qui vous plaindra ?

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses;
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.

(Marceline Desbordes-Valmore)

Souvent sur la montagne à l'ombre du vieux chêne
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé !

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivage,
Tout dise: "Ils ont aimé !"

Salut,
Je n'ai pas joui.

(Lamartine... mais j'ai un peu triché !)

Elle était déchaussée, elle était décoiffé,
Ses cheveux dans les yeux, et riant au travers.

Lorsqu'avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes
Caïn se fut enfui devant jéhovah,

Passons sur le trop facile:

Venez vous dont l'oeil étincelle,
Cachez vos rouges tabliers.

Évitons l'à-peu-près:

Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte
Déjà Napoléon perçait ma mère vendéenne !

Et préférons, chez le grand-père Victor:

La nature est partout la même
Sur le front bleu de l'idéal

Pancrase entre au lit de Lucinde
D'autant plus dieu qu'il est marmot !

Dans l'amoureux, qu'Eros grise
Par où Joseph fut tiré !

ou encore:

Oh! Combien de marins, combien de capitaines
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous !

Curieusement,Baudelaire résiste à cet exercice.
A peine si l'on peut trouver dans Les Fleurs du Mal:

Voici venir le temps où vibrant sur sa tige
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux
Où coule au lieu de sang l'eau verte de Léthé/

Où est l'informatique, dans tout cela ?
Dans le traitement de texte, bien entendu !
Si vous avez tapé un texte, de quelque nature que ce soit, et si avez l'esprit un tant soit peu ludique, rien ne vous empêche de découper des mots ou des groupes de mots - des blocs - et d'aller les recopier dans un fichier où vous arrangerez pièces du puzzle à votre guise.
J'ai choisi la poésie comme base car les effets y sont plus frappants, mais vous pourriez aussi bien prendre un texte d'histoire ou de comptabilité si le coeur vous en dit.
Pour en finir avec le méli-mélos poétiques, je vous livre un poème que j'avais construit il y a une quinzaine d'années sur le thème du voyage, et dont chaque vers appartient à un auteur différent.
Je vous fais confiance pour rendre chaque vers à son propriétaire:

A l'heure ou la rosé au soleil s'évapore,
J'avais franchi les monts qui bordent cet état.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore.
Les horloges que j'interroge serrent ma peur en leur compas

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Que le soleil est beau quand tout frais il se lève !
Prenez si ça vous dit l'autocar pour Paris
Et dites c'est beaucoup, et c'est l'ombre d'un rêve.

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
Les plus épouvantés reprennaient de courage.
Mon automne éternelle ô ma saison mentale
Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !

Un dernier conseil:
Si le Baudelaire effraie, ne laissez pas votre pull au Verlaine !
JeanPascal Duclos.

Revenir au haut de la page